Aujourd’hui je pars en moto avec Lucencia pour rencontrer un groupement de femmes formé à la transformation du soja. On est accueillies chez la responsable dans une maison en dur de Tanguieta : elle est en train de tamiser des grains de soja … assise sur la tombe de son mari ! C’est ce qu’il y a de plus beau dans le jardin : recouvert de carrelage bleu, façon salle de bain, dans un décors de terre battue.

Ces quelques grains de soja vont donner une grande quantité de fromage en l’espace d’une demi-journée en suivant les étapes suivantes :
- 1/ tamisage pour supprimer les grains immatures (les grains murs sont plus lourds et tombent au fond tandis que les grains immatures et les détritus, plus légers restent sur le tamis)
- 2/ concassage grossier à l’aide d’un moulin,
- 3/ vannage pour supprimer les causses à l’aide du vent,
- 4/ trempage pour ramollir les grains,
- 5/ écrasage : une pâte blanche épaisse sort du moulin,
- 6/ après ajout d’eau, chauffage jusqu’à ébullition : une mousse en surface se forme et est enlevée,
- 7/ rajout d’eau acide issue de la précédente cuisson : le lait de soja « caille » en surface,
- 8/ le lait caillé est enlevé avec des petites passoires : il est ensuite moulé et essoré.
Pendant la cuisson, un orage se déclenche : on a le temps de le voir venir et de s’abriter dans le salon bien sombre de la maison. Un homme dort allongé sur un canapé et une vielle femme est prostrée par terre, près de son matelas en position relevée. C’est la tante : elle marche avec des béquilles. La propriétaire des lieux est veuve : elle a subitement perdu son mari. Sa photo trône dans le salon ainsi que sa couronne funéraire, encore emballée. La vie est difficile pour elle : sa seule source de revenus provient de la transformation du soja. Le travail de ce matin à 6 personnes, lui rapportera 250 FCFA : cela représente 50% du prix d’un simple plat. Elle nous offre pourtant le repas : je goûte pour la première fois à de la pâte qu’on mange avec les doigts et avec laquelle on ramasse de la sauce dans laquelle traîne quelques légumes feuilles, le tout avec la main droite. Décortiquer l’aile de poulet ainsi est toute une aventure ! Elle nous laisse, Lucencia et moi, dans son salon. Une fois passée la surprise d’être ainsi invitée, je savoure cette expérience authentique, loin des sentiers battus.

Elles prennent également un malin plaisir à partager avec moi le tchouck, la bière locale à base de sorgo, fermenté ou pas, que nous buvons dans des fonds de calebasse dans la buvette collective du quartier. J’ai l’impression d’être dans un hammam 🙁

