Ile sous le vent de l’archipel de la Macaronésie, à 800 km au large du Sénégal, Fogo est principalement un volcan culminant à 2829 mètres. Toujours actif, il a fait la richesse et le malheur de ses habitants lors des éruptions, les dernières datant de 1951, 1995 et 2014. C’est l’île de la vigne et du « Manecom », vin blanc légèrement sucré, du café réputé pour son arôme, des métisses à la peau cuivrée, aux cheveux blonds et aux yeux bleus, descendant du comte de Montrond. Aristocrate, exilé en 1860 suite à un duel, séduit par la beauté des Cap-verdiennes, il a acquis ici des terres et s’est installé dans le volcan, apportant vignes et café et laissant une cinquantaine de descendants.
Cha Das Caldeiras
Mon séjour au Cap Vert débute à Fogo, après un saut de puces de Paris à Sao Filipe via Lisbonne et Praia sur Santiago. Sitôt débarquée, éblouie par le soleil, enveloppée par la douceur, accueillie par des sourires, je monte dans un « aluguer », mini bus collectif très local, direction Cha Das Caldeiras, au pied du Pico Fogo. Brinquebalée sur une route de pavés, je découvre un paysage sec, jauni, aride, bordé de quelques maisons de parpaings aux murs parfois peints de couleurs vives. La route mène au volcan : nous entrons dans la caldeira.
Elle enserre le volcan dans un cirque de hautes falaises nées de l’effondrement de la partie centrale du cône. Elle forme une demi-lune de 9 km de diamètre : énorme ! Elle est remplie de coulées de lave et d’un amas de blocs gigantesques. L’environnement est lunaire, austère, explosif. Je me sens toute petite dans cet univers exclusivement minéral et noir.
Après en avoir fait en partie le tour, nous arrivons dans un village en reconstruction : la dernière érruption ne date que de 5 ans. Dans sa course dévastatrice, la lave a emporté les 3/4 des habitations en quelques heures, les vignes et les plantations de café ont été noyées. Fort heureusement les 1700 habitants ont été évacués à temps. La pensao Jose Doce a été épargnée : je vais y passer deux journées à la fois reposantes et actives, en compagnie de Jose et de français, allemands et espagnols. Jose a soigné la décoration de son auberge qu’il a construite lui-même petit à petit, offrant des chambres simples et agréables.
Ascension du Pico Fogo
6h du matin, le soleil non encore levé, nous démarrons l’ascension du Pico Fogo. Un vent souffle déjà qui va compliquer notre cheminement. Nous sommes 8 accompagnés de Félix, notre guide local.
L’ascension du Teide sur Tenerife m’avait laissé un souvenir pénible : ici ce sera pire. Les pieds glissent sous la pouzzolane ; le vent fort venu du large nous déséquilibre ; la pente est raide : l’accès n’est possible que sur l’arête nord, plus praticable que le reste du volcan constitué essentiellement de gravillons. Fort heureusement notre guide s’arrête fréquemment et en 3h nous arrivons au cratère. De là-haut, la vue est dantesque ! La caldeira est une immense bouche, engloutissant un tout petit village de rien du tout.
Nous faisons en partie le tour du cratère avant de commencer la descente : une glissade mémorable !
Comme en ski hors-piste en poudreuse : sur les talons, face à la pente, allégeant les pas les uns après les autres, nous voilà bondissant dans la pouzzolane épaisse d’un mètre, droit vers le Pico Pequeno, dévalant 1000 mètres en quelques minutes. Inoubliable !
Ce deuxième volcan bien que plus petit est de toute beauté : on en fait en partie le tour par une crête féérique, d’un côté l’immense cône duquel nous venons de descendre et de l’autre la caldeira et nous, au milieu, minuscules dans le chaos.
La randonnée se termine après 6 heures par un sentier serpentant entre quelques pierres et quelques plantes dont on se demande bien comment elles arrivent à survivre. Des plants de vignes repoussent, maigrelets.
Je suis recouverte de poussière, éreintée, affamée. Jose nous a préparé un délicieux plat de poisson et légumes que je dévore avant de m’écrouler pour une heure de sieste bien réparatrice.
Randonnée vers Mosteiros
C’est avec mon sac à dos chargé de ses 12 et quelques kilos que je pars avec Fanny et Sophie en direction de Mosteiros. Nous faisons à pied le reste du tour de la caldeira : nous longeons et traversons une immense coulée de lave : le paysage est émouvant. Comment peut-on vivre dans ce chaos noir ? Pourquoi reconstruire ici avec le risque d’être à nouveau englouti ? Qu’est-ce-qui pourra bien pousser là-dedans ? Dans combien de temps la vie végétale renaîtra ?
Après une bonne heure de marche dans cet univers exclusivement minéral, nous entrons dans la forêt de conifères, de mimosas à peine en fleur et d’eucalyptus du parc naturel de Monte Velha. Nous traversons un village abandonné.
La route de pavés cède la place à un sentier. La descente est éprouvante : 1700 mètres de dénivelé en 5 heures par un sentier glissant. Le poids de mon sac rajoute une vraie difficulté. Fort heureusement, c’est un enchantement pour les yeux : de part et d’autre, des caféiers, des citronniers en fleur, des bananiers, des pois, différentes espèces de « yuka » … quelques hommes et un âne.
Un jardin d’Eden que je découvre en saison hivernale : j’essaie d’imaginer ce que cela pourrait être quand tout est en fleur, quand les hommes s’activent pour la récolte …
Nous arrivons en milieu de journée à la pensao Gira Lua, exténuées. Mosteiros est un village préservé du tourisme où on a loisir à observer la vie locale se dérouler au bord de l’océan et du haut de la terrasse de la pension.
Sao Filipe
Sao Filipe est ma dernière étape sur Fogo. « L’aluguer » part à 5h40 : il s’arrête pour prendre ou déposer des gens en chemin, des femmes avec des bébés, des hommes, certains chargés de provisions à vendre. Nous empruntons la route côtière qui fait le tour par l’Est. Le paysage est austère, la côte sauvage, tout est sec.
Pipi’s guesthouse est mon havre de paix central pour arpenter les ruelles de cette petite cité bien reposante : quelques maisons de maître des colons portugais, les « sobrados », peintes aux couleurs pastel et aux toits de tuile, une immense plage de sable noir, des squares fleuris, un marché animé aux poissons et fruits et légumes (manioc, patates douces, courges, choux, carottes, pois …) … Une petite cité calme de 8000 habitants, tout en douceur.
C’est sans oublier que l’île de Fogo, avec Santiago, a joué un rôle certain dans le trafic d’esclaves au XV ième siècle : les habitants échangeaient de grandes quantités de coton, de pagnes et chevaux contre des esclaves sur les côtes de Guinée. Les baleiniers ont également marqué l’histoire de l’île au XIX ième siècle, embarquant des hommes fuyant la sécheresse et la famine vers les Etats-Unis. A partir des années 30, les mulâtres revinrent des Etats-Unis où ils se sont enrichis par le commerce et rachetèrent les terres.
En fin de journée, je prends la direction de la plage rejoindre mes charmantes collègues au Tortuga B&B pour une soirée les pieds dans l’eau, face au coucher du soleil sur l’île de Brava.

