A 40 minutes de ferry de Mindelo, voici Santo Antao, l’unique, la spectaculaire, l’inaccessible … la perle de l’archipel du Cap Vert. Rocheuse et escarpée, ses reliefs sont impressionnants, ses côtes déchiquetées. Si Boa Vista est caractérisée par ses dunes dans la mer, à Santo Antao, ce sont les montagnes qui plongent dans la mer, une mer tourmentée et inhospitalière. Des aiguilles balsatiques dressées vers le firmament, des routes suspendues entre ciel et terre, des chemins muletiers aux dénivelés vertigineux, seul moyen pour relier les hommes entre eux. A Santo Antao, il faut accepter de marcher sur des chemins étroits qui traversent la montagne de toute part : un authentique paradis pour trekkeur sportif !
A Santo Antao, tout est extrême : les paysages offrent des contrastes saisissants ; la richesse florale et végétale est inégalée avec même des forêts telles qu’on peut les connaître en Europe. En quelques minutes, on passe d’un désert aride aux cyprès somptueux rappelant les paysages de la Toscane, puis aux forêts de conifères évocatrices des Alpes, ou à une végétation tropicale digne des Antilles … sans oublier les aloès, les sisals, les lantanas, les mimosas en fleur.
Santo Antao est aussi l’île de la canne à sucre et du rhum : à chaque détour de chemin, on peut tomber sur une de ces plantations. Ici la canne est une véritable institution, la fierté de l’île, une affaire de famille, l’une de ses principales activités.
Et puis on est y tellement haut, qu’on est sûr de voir une autre île, le plus souvent Sao Vicente : c’est réconfortant quand on se trouve au bout du monde, d’apercevoir un morceau de terre, de savoir qu’il y a de la vie à proximité.
J’ai passé 5 jours en tout sur cette île sur les 8 prévus initialement : j’ai surtout exploré la partie est et nord-est, en réalisant 4 randonnées absolument fabuleuses.
Cova de Paul – Vallée de Paul – Vila das Pombas
5 heures – 1500 mètres de dénivelé négatif
La randonnée commence en haut du cratère de Cova dans lequel on commence par descendre, traversant des plantations en son cœur. Une brèche évidente au nord permet d’accéder à la vallée de Paul offrant un formidable point de vue plongeant.


La descente, tonique pour les genoux, jusqu’au niveau de la mer, se fait à travers des paysages grandioses, empruntant des petits chemins qui bordent les terrasses cultivées et irriguées : potager, cannes à sucre, goyaves, papayes … un pur enchantement. Le moindre bout de terre est retenu par des terrasses et cultivé. Aux détours de chemin, on croise des hommes aux champs, des femmes étendant leur lessive, des enfants revenant de d’école …







A l’approche de Vila das Pombas, ma route croise une distillerie. Alors que je m’aventure à passer la tête à travers la porte ouverte, un employé m’invite bien volontiers à rentrer. Je découvre ainsi une des innombrables structures artisanales de fabrication du « grogue », le rhum local. Dès qu’il est disponible, le « manager » devient mon guide : du broyage des tiges de canne pour en extraire le jus à la condensation des vapeurs d’alcool, j’observe toutes les étapes intermédiaires : fermentation dans des containers pendant une quinzaine de jours, chauffage au feu de bois de canne à sucre, transport des vapeurs d’alcool dans un tuyau, condensation en passant dans un tube refroidi à l’eau, récolte de la liqueur dont 1/3 seulement est de qualité, le reste étant remis en circulation. Tout est naturel et recyclé : tout fini dans la nature, en couverture de toit, en compost.
En dehors de la saison de récolte de la canne à sucre, période pendant laquelle de nombreuses femmes travaillent pour porter les cannes, il emploie de manière permanente 7 personnes. Ma curiosité m’amène à prolonger notre échange en lui posant quelques autres questions auxquelles il répond très volontiers. La saison s’étend de janvier à juillet : le gouvernement décide de l’interruption de l’activité pour éviter que les distilleries ne distillent ensuite du sucre et non plus du jus de canne. Il est aidé d’un économiste qui connaît bien les fluctuations du marché et lui indique le prix de vente le plus probable : les ventes au marché américain sont les plus juteuses. Un camion vient chercher directement le rhum qu’il destine à la vente : il en conserve une partie qu’il fait vieillir dans des fûts de bois. Il produit également du miel de mélasse.
Nous abordons ensuite les questions de santé publique : il est vrai que l’alcoolisme est un fléau. 1/3 du budget santé de l’Etat est consacré à soigner la population des maladies consécutives à l’abus d’alcool. Le gouvernement met l’accent sur l’éducation des enfants et règlemente interdisant depuis peu la vente de rhum à des mineurs.
Notre entretien se termine avec l’évocation de son projet : il a l’intention de construire quelques chambres d’hôte et de proposer des visites à cheval de la vallée en plus des visites de son exploitation. Je l’encourage dans cette direction, persuadée que ce type de tourisme immersif et expérienciel proposé par de petites unités authentiques correspond à une vraie demande.
Ponta do Sol – Fontainhas – Cruzinha da Garça
5 heures – 500 mètres de dénivelé positif et négatif
Ce sentier côtier entre mer et falaises abruptes mène à des hameaux du bout du monde dont Fontainhas, le plus beau village de l’île. Je parcours ce sentier un jour où « l’harmattan » souffle fort, un vent chargé de poussières du Sahara, donnant à la randonnée un côté encore plus sec et dramatique.




La réalisation de ces terrasses représente un travail colossal, accompli au fil du temps, par des générations de cap verdiens. Au loin un homme prépare une terrasse ameublissant la terre avant une plantation.
Xoxo – Espongeiro
3 heures – 1250 mètres de dénivelé positif
Cette randonnée est la plus difficile que j’ai réalisée du fait qu’elle consiste à remonter une « ribeira » et à franchir un col : j’ai cru que je n’arriverai jamais à atteindre le sommet du mur immense qui se dressait en face de moi. Fort heureusement le changement progressif de végétation, le parfum délicat des mimosas, les points de vue époustouflants au détour du chemin en balcon et l’absence d’alternative une fois engagée m’ont permis de tenir.



Il m’arrive d’atteindre une parcelle improbablement cultivée et arrosée tout en hauteur, loin de tout village. Tandis que je passe des heures à marcher pour y arriver exceptionnellement dans le cadre d’une randonnée, pour ceux qui la cultivent, c’est le quotidien : tout espace plat est cultivé, rien n’est perdu, où qu’il soit.
Et quelle surprise au sommet que de tomber sur une forêt de conifères ! Un paysage complètement différent, unique dans l’archipel. Cela me rappelle les randonnées à La Palma dans l’archipel des Iles Canaries.


La suite de la journée est moins glorieuse : mon plan initial était de réaliser cet itinéraire en boucle. J’espérais pouvoir emprunter le sentier descendant en l’atteignant à travers la forêt afin d’éviter un passage de route : malheureusement les sentiers répertoriés sur ma carte et sur maps.me m’ont menée à une impasse et j’ai dû par prudence rebrousser chemin. Trop fatiguée pour continuer, j’ai préféré faire du stop et arrêter un pick-up ouvert transportant une famille française. J’ai ainsi eu la chance de parcourir l’incroyable route intérieure de l’île via Corda, d’un côté la « Ribeira da Torre » et de l’autre la « Ribeira Grande », avec l’incroyable impression d’être suspendue entre ciel et terre.

Pico da Cruz – Ribeira de Penede
6 heures – 1650 mètres de dénivelé négatif
Cette randonnée engageante en raison du dénivelé descendant est sublime. Le sentier mène, pour moitié, de crête en crête, avec une vue au loin sur Sao Vicente et, pour l’autre moitié, sur une vertigineuse descente sur la « Ribeira de Penede ».






Vu d’en haut, regardant tout en bas et au loin les minuscules villages côtiers, je n’aurai jamais cru possible de parcourir, à pied, de telles distances.
En chemin, j’ai été spontanément aidée par quelques villageois qui m’ont confirmée dans la direction à prendre. L’application Maps.me s’avère être d’une précision remarquable aidée par un réseau très efficace. Je suis rentrée à l’écolodge Biosfera Amor da Via tenu par un Italien à la Cova de Paul en « aluguer » hélé en chemin.
Lagoa – Moroços
Il me manque en réalité une semaine pour poursuivre une découverte à pied plus complète de cette île grandiose. Aussi, pour cette dernière demi-journée, je pars avec Manu dans un pick-up d’une autre époque … Il a fait son temps : les pneus n’ont plus aucun relief !

La pompe à essence aussi a fait son temps mais elle fonctionne bien …


Le propriétaire du gîte m’a aidée à organiser cette expédition hors sentier battu sur le plateau de Lagoa en direction du nord-ouest. Nous nous approchons de la côte nord où quelques personnes vivent en toute autonomie d’agriculture et de pêche : elles peuvent y vivre grâce à la présence d’une source d’eau et d’électricité solaire. Un sentier minuscule s’étire et s’enfonce à perte de vue, seul moyen terrestre permettant de relier ces habitations du village d’Espongiero depuis lequel nous avons déjà parcouru 1,5 heure en voiture !
Tout est sec à perte de vue, aucun arbre … Ce n’est qu’en septembre après les pluies d’août que la végétation verdit un peu. Par ci par là des terrasses perdues en pleine nature, parfois cultivées.


Manu a 29 ans : en chemin nous abordons en anglais bien des sujets relatifs au quotidien de la vie de sa famille. Ses parents ont eu 10 enfants. La nouvelle génération en a beaucoup moins, conscients que le travail est rare et la vie difficile. Le système éducatif est plutôt bon : en plus du créole et du portugais, ils apprennent le français et l’anglais. Pour les études supérieures, ils doivent se rendre à Praia sur Santiago voir à Sal. La sècheresse sévit depuis 3 ans et ainsi par périodes de plus en plus longues.
La problématique de l’accès à l’eau est une réalité quotidienne : les corvées sont hebdomadaires pour une grande partie de la population et cela même si des sources existent sur Santo Antao. Il faut remplir des jerricanes et les porter sur la tête ou à dos de mulet, acheter et se faire livrer des containers d’eau dans certains coins plus reculés accessibles en voiture …

Ainsi se termine mon périple cap verdien, riche de découvertes et rencontres aussi variées que sont ces quelques îles perdues au large du Sénégal. Il m’aura manqué du temps pour explorer plus largement Santo Antao et découvrir Sao Nicolau et Brava voire Sal qui présente moins d’intérêt car très touristique.