Traversée de l’île de la Réunion en diagonale : soyons fous !

La traversée de l’île de la Réunion se fait à pied, en diagonale, par l’intérieur, passant par les sommets les plus élevés et les sites naturels les plus emblématiques de l’île. La Diagonale des Fous est un ultra trail bien connu pour son engagement qui peut se parcourir en 24h sans dormir. Plus raisonnablement, j’ai décidé de parcourir cet itinéraire en marchant. J’y suis allée en octobre 2020, juste avant le 2ième confinement. L’île sortait de l’hiver : c’était la saison sèche.

Cette fois-ci c’est seule que je m’aventure sur le GR R2 pour une douzaine de jours de randonnée dans les cirques et au sommet des pitons. 130 km, 70 heures de marche et 9600 m D+. J’ai réservé mes étapes à l’avance : en effet les places dans 3 refuges d’altitude sont limitées et en période de Covid, il y en a 2 à 3 fois moins : la consigne étant de ne pas mélanger les voyageurs, j’ai parfois dû réserver pour 2 personnes et j’ai ainsi dormi seule dans des dortoirs pour 6 ! J’ai suivi le découpage proposé par le topoguide sans chercher à aller plus vite : je ne voulais surtout pas me blesser.


  1. Saint Denis Le Brûlé – Gîte de la Roche Ecrite – 7h1/4 – 20 km – 1456 m D+
  2. Gîte de la Roche Ecrite – Dos d’Ane  (Gîte Bienvenue dans les Hauts) – 3h1/4 – 8 km – 940 m D-
  3. Dos d’Ane – Aurère (Camping Bonne Terre) – 6h – 19 km – 852 D+ – 666 D-
  4. Aurère – Grand Place les Hauts (Camping Belle Vue) – 3h – 9 km – 500 m D+ – 485 m D-
  5. Grand Place – Roche Plate (Gîte Merlin) – 5,5h – 22 km – 1112 m D+ – 613 m D-
  6. Roche Plate – Marla (Gîte Yolande Hoareau) – 6h – 17 km – 1260 m D+ – 239 D-
  7. Marla – Cilaos (Gîte la Roche Merveilleuse) – 5,5h – 14 km – 860 m D+ – 991 D-
  8. Cilaos – Refuge de la Caverne Dufour – 5h – 12 km – 1380 m D+
  9. Refuge de la Caverne Dufour – Piton des Neiges – Bourg Murat (Gîte la Fournaise) – 9h – 14 km – 670 m D+ – 1555 m D-
  10. Bourg Murat – Gîte du Volcan – 5,5 h – 20 km – 809 m D+ -162 m D-
  11. Gîte du Volcan – Piton de la Fournaise – Gîte de la Basse Vallée – 6h1/4 – 1752 m D-
  12. Gîte de Basse Vallée – Basse Vallée – 2,5h – 7 km – 565 m D-

De Saint Denis à Basse Vallée, le GR R2 traverse les 3 cirques emblématiques de l’île, le cirque de Salazie, le cirque de Mafate et le cirque de Cilaos. Il passe également par les 2 points culminants, le Piton des Neiges et le Piton de la Fournaise. Ici pas de pics enneigés, de glaciers, de lacs d’altitude … mais des ravins profonds, des îlets perdus sans aucune route d’accès, des orchidées, des lichens chevelus, Fanjan la fougère arborescente indigène, le bambou jaillette  …. Mais aussi des araignées énormes et une ribambelle d’oiseaux dont le préservé Tuit-Tuit ! Et toute une palette de fleurs tropicales très colorées. Une incroyable biodiversité à laquelle je ne suis pas habituée !

Le cirque de Mafate

J’ai intégralement traversé le pittoresque et incroyable Cirque de Mafate. En malgache cela veut dire « celui qui tue » en mémoire d’un chef esclave originaire de Madagascar qui s’y est réfugié. Perdus entre 2 ravines, non loin de cours d’eau, les « noirs marrons » pouvaient s’y cacher et y cultiver des légumes pour survivre. C’est un lieu emblématique de l’histoire de l’île qui est resté préservé du fait de son inaccessibilité. Un endroit étonnant qui n’a cessé de m’étonner que j’ai pris d’autant plus plaisir à découvrir à pied que c’est le seul moyen d’y pénétrer.

J’y ai découvert des noms de lieux aussi étonnants que Dos d’Ane, Grand Place des Hauts, îlet à Malheur, îlet Bourse, îlet des Orangers, La Nouvelle … Des points culminants en balcon, on devine à peine les cases pourtant colorées regroupées en hameau qu’on appelle ici des îlets : ils sont tellement inaccessibles que seuls les randonneurs et les hélicoptères peuvent s’en approcher. Un ballet d’hélicoptères transporte passagers, vivres, matériaux de construction et même machines à laver ! Chaque maison dispose de son aire d’atterrissage pour accueillir au plus près l’hélicoptère et éviter de transporter sa cargaison sur une trop longue distance.

Il y a des journées où les passages de gués sont délicats : la rivière coule abondamment et les rochers sont lisses polis par le courant … Fort heureusement les bâtons de marche servent de béquilles et m’évitent de basculer et de tomber avec mon sac à dos chargé dans le courant.

Le cirque de Cilaos et le Piton des Neiges

Le cirque de Cilaos, « le lieu que l’on ne quitte jamais », lui est plus vaste et accessible par la route sinueuse des 400 virages. Le rempart qui protège et encercle le site est impressionnant de verticalité. C’est ici que sont cultivées les lentilles qu’on me sert à chaque repas en guise de sauce à mettre sur le riz blanc. Le climat y est tempéré. On y trouve également des thermes.

A partir de Cilaos, la météo est devenue moins clémente. Je m’étais habituée aux remontées nuageuses en milieu de journée alors que les matinées étaient douces et ensoleillées. C’est sous une brume glaçante que j’atteins le refuge de la Caverne Dufour et ce sera malheureusement sous le brouillard que je monterai à 4 heures du matin au Piton des Neiges pour observer le lever du soleil. Il culmine à 3070 mètres. Je n’ai rien vu d’autre qu’une mer de nuages. Mais je garde un souvenir d’un autre temps de cette soirée au refuge : j’ai dormi dans un baraquement sommaire digne de l’armée – j’ai eu l’impression d’être en URSS – sans douche, sans eau potable. Le refuge est en bois, très mal isolé, plutôt humide. Fort heureusement le traditionnel punch est bien réchauffant, et le rougail saucisse riz lentilles bien plombant même avec le rhum arrangé final pour que le compte y soit !

Après un petit déjeuner sommaire mais qui réchauffe bien, j’attaque la longue la descente vers Bourg Murat (-1555 mètres) : du soleil à la pluie, de passe mon temps à changer de tenue … je me demande encore comment j’ai fait pour ne pas glisser. Je le dois à beaucoup de prudence mais aussi à mes nouvelles chaussures de randonnée pourtant basses mais très antidérapantes. Le passage en crête avec vue sur le cirque de Cilaos était challengeant avec quelques échelles. Le sentier contourne le fond du cirque et, à de rares moments, un trou dans la végétation offre une vue dégagée pour prendre la mesure de l’immensité du cirque.

Le volcan de la Fournaise

L’étape suivante : le volcan de la Fournaise. C’est sous une pluie battante et glaciale que j’atteins le refuge recouverte d’un pantalon et d’une veste en goretex. Malheureusement la météo ne s’est pas améliorée et je démarre sous la pluie et le vent glacial, cette randonnée pourtant plutôt facile vers le volcan. Je n’aurai vu découverte que la Plaine des Sables, un immense désert lunaire de lave sous toutes ses formes. Je n’ai pas pu observer la lave incandescente. Le Piton de la Fournaise culmine à 2632 mètres. C’est un des volcans les plus actifs de la planète : il tient le 1er rang par la fréquence des nouvelles éruptions : on en dénombre en moyenne une tous les neuf mois au cours des dix dernières années.

Sur le retour, la météo se découvre mais il est trop tard pour y retourner. Je suis partie trop tôt ce matin, espérant comme les jours précédents, profiter d’une plus belle météo en début de journée. Le lendemain j’ai quand même la chance de faire le tour de l’enclos Fouqué sous le soleil : la randonnée domine et encercle littéralement cette immensité lunaire. J’aperçois au loin les cratères.

La dernière étape est une très très longue descente de plus de 1800 mètres que j’effectue absolument toute seule. Je m’enfonce peu à peu dans la brume et dans la forêt humide, sous un crachin bien pénétrant à la longue. Je redouble d’attention sur le sentier, surtout quand il est très boueux et strié de racines bien glissantes.

La biodiversité de l’île est ma principale compagnie et c’est un vrai présent. Les délicates orchidées dressées au bout de leur frêle tige sont un des trésors que je rencontre au bord du chemin. Sur la fin, dans la forêt, j’observe des lianes grimpantes attachées par du ruban de papier cadeau à n’importe quel tronc d’arbre en guise de tuteur … de la vanille ! Je n’en avais jamais vu. En provenance de Cayenne en 1819, elle est pollinisée manuellement et vient à maturité au bout d’un an.

A l’arrivée à Basse Vallée au pied de l’église, c’est une toute autre ambiance : la plage de Grande Anse me tend les bras pour un repos tout simplement les pieds dans le sable. J’apprécie la douce chaleur du soleil.

J’ai traversée l’île littéralement seule : le jour où je me suis engagée j’étais seule à partir, et je l’ai été jusqu’au bout. J’ai rencontré d’autres randonneurs ou touristes aux étapes, mais personne pour suivre le GR R2 sur tout ou partie de la traversée. J’ai à la fois apprécié cette solitude d’autant que c’était mon challenge et un peu regretté de ne pas avoir pu sympathiser plus longuement avec quelques randonneurs. J’ai suivi le sentier avec sa succession de rivières, ses remontées raides depuis les ravins, ses forêts de filaos, ses îlets perdus dans l’immensité des cirques, ses landes et plaines de lave et de sable, cirque après cirque, piton après piton, picorant des fleurs aux couleurs lumineuses : liberté, joie incomparable que d’aller avec le paysage, de suivre à sa guise les lignes du terrain, seule entre la montagne et les cieux. Quelle que soit la météo, j’ai cheminé, avide de grands espaces et de biodiversité, soif de mouvement et de dépassement, tributaire de personne.

Une folle traversée riche d’endroits hors du commun, de biodiversité et de solitude pleinement appréciée !