Article paru dans le globe-trotters n°201 en janvier 2022
Pourquoi entreprendre le tour du Mont Blanc ? Le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle ? L’ascension du Mont Blanc ? Les sommets panoramiques des îles Lofoten ? Puis l’ascension du Kilimandjaro ? Le tour du massif des Ecrins ? Les traversées de Belledonne, de la Réunion et de la Corse ? Pourquoi s’immerger dans les hautes terres islandaises réputées pour leur climat venté et pluvieux et bientôt arpenter les sentiers rugueux des hautes routes du Népal ?
Marcher pour être
Pour sentir mon corps fatigué par de saines raisons, pour m’émerveiller devant le spectacle de la nature, pour retrouver du plaisir, de la joie, dans la simplicité, l’authenticité, l’imprévu, pour me laisser surprendre par une rencontre … et cela marche ! Pour être, tout simplement.
Marcher est douloureux
Au poids du corps qu’il faut faire avancer se rajoute le poids du sac qui pèse sur les épaules. Les efforts répétés régulièrement et inlassablement fragilisent et endurcissent tout à la fois. Le moindre frottement, la moindre douleur, la moindre tension musculaire est ressentie intensément à chaque pas, insidieusement pendant des heures. Tout le corps est sollicité, des pieds aux épaules, en passant par les mollets et les genoux, les quadriceps, les hanches mais également les bras. Le corps fait sentir sa présence : il respire, il chauffe, il sue, il vibre. J’aime cette sensation : elle fait prendre conscience de la force de la vie.




Marcher repose de la fatigue de penser et rend présent
Quand je marche, après un temps de lâcher-prise, je deviens disponible, présente et impressionnable : j’ai juste à regarder, à sentir. Je suis comme une éponge, ouverte à l’élémentaire. Je retrouve une énergie primaire.
Certes les souvenirs et les pensées traversent mais je les laisse filer. Les tempêtes intérieures se calment en marchant. J’avance. Ressentir et non plus réfléchir, analyser, ruminer. Je me rends bien compte que mon cerveau carbure mais avec le temps, pas à pas, il s’apaise. Marcher est comme une respiration profonde.
Marcher rend libre
Lorsque je voyage ainsi à pied, en itinérance, lentement, je m’affranchis du superflu, de tout ce qui soit disant facilite la vie mais au final, à quoi cela sert il ? Tout ce dont j’ai besoin tient dans un sac à dos de 8 kg, de quoi affronter toutes les conditions météos et de quoi subvenir à mes besoins. Je ne suis plus tributaire des autres que pour trouver un lit et un couvert le soir : je me libère, je m’émancipe et expérimente ainsi la liberté. J’ai l’impression que je pourrai ainsi éternellement marcher et parcourir les routes et sentiers du monde. Cette liberté est grisante et angoissante tout à la fois. Elle amène inévitablement à se poser la question du sens : qu’est-ce que je veux vraiment faire de ma vie ?
Marcher rend humble et tenace
Parcourir des yeux le monde du haut d’une montagne que je viens de gravir ou se retourner et voir le chemin parcouru du haut d’une colline procure un intense sentiment de joie. Je l’ai fait ! J’existe ici et maintenant.
Je me sens petite, vulnérable et forte à la fois, bien ancrée. Je n’ai souvent pas d’autre choix que d’avancer : il peut faire froid, il peut pleuvoir, la vue peut-être bouchée par un brouillard humide … qu’importe, j’avance. C’est comme si la machine, une fois échauffée, ne voulait plus s’arrêter et en redemandait, tout simplement. Je n’ai pourtant pas la vélocité de certains mais qu’importe : je marche pour moi et chacun en fait autant. Il n’y pas de place à la compétition : seulement le dépassement de soi.

Quand je marche je me constitue un capital de souvenirs de la façon la plus économe qu’il soit
Les paysages grandioses s’impriment intensément. Les rencontres sont des évènements marquants qui ponctuent de sourire et de paroles, tel un chapelet, l’itinéraire. Je ne cours pas après un musée, un monument … non, je m’abreuve de Nature et de Rencontres, en toute simplicité, de la façon la plus authentique possible. Je suis comme une enfant qui s’émerveille.
Alors à la question « Pourquoi est-ce que je marche ? », j’ai finalement trouvé un faisceau de réponses tellement lumineux, que je sais aujourd’hui la place que j’accorderai au voyage à pied dans le reste de ma vie.


