Défi GR20 : une traversée riche en challenges

Parcourir le GR20 pour traverser la Corse est mon défi sportif de l’année 2021. Il me paraît comme une évidence, une nouvelle étape logique après la traversée de l’île de la Réunion, le tour du massif des Ecrins, la traversée de Belledonne et le Tour du Mont Blanc. Il a la réputation d’être le GR le plus difficile d’Europe … Ma soif de grands espaces alliée au plaisir de l’itinérance, l’irrésistible envie d’aller toujours plus loin dans la découverte de soi me poussent tout naturellement, au sortir du confinement, à me dire : « vas-y, c’est le moment ! ».

Une traversée Nord Sud, seule, en Juin

Après un temps de recherche, je décide de partir début juin, à l’ouverture de la saison, quand il ne fait pas encore trop chaud. Par contre, les névés de la partie Nord, la plus abrupte, n’auront pas encore fondu et je dois prévoir des crampons pour les traverser en sécurité. Mes sorties en skis de randonnée et mes quelques ascensions m’ont entrainées : je sais que j’aime cela.

La deuxième décision est de traverser du Nord au Sud : certes j’aurai le soleil plutôt de face mais je compte sur ma forme et fraîcheur pour attaquer en premier la partie la plus ardue. Le GR Nord est notoirement le plus difficile, le plus engagé, le plus abrupte. La partie Sud a la réputation d’être plus roulante.

La troisième décision s’impose tout naturellement : je partirai seule, sans groupe. Ils partent tous du Sud le samedi et le groupe du Club Alpin Français d’Ile de France auquel j’adhère est complet. Je n’ai pas besoin de guide sur un GR. Ma fenêtre est courte : j’ai 2 semaines avant les élections départementales. Aussi je prévois 13 jours de randonnée et 2 jours de repos à l’arrivée. Le topoguide découpe plutôt en 16 étapes les 180 km et 12000 de dénivelés.

La quatrième décision est très raisonnable : je décide de ne pas porter ma tente. Je préfère m’alléger le plus possible. Aussi je réserve mes nuitées dans les refuges du Parc Régional Corse et je compte sur la possibilité de me restaurer copieusement au moins un fois par jour. Le site de réservation ne me propose pas de place en dortoir mais en tente : soit elles sont toutes déjà réservées soit les dortoirs sont fermés pour raisons sanitaires … Je me réjouis d’avance de n’avoir ni à subir de promiscuité ni de ronflements ! Sur quelques rares étapes, il faut compter avec des bergeries, des campings ou des gîtes. Je finalise mon organisation avec le topoguide de la Fédération Française de Randonnée.

Le GR 20 Nord, ce n’est pas de la randonnée !

A Calenzana, il fait chaud en ce début juin. Le temps est lourd, chargé d’orages. Les terrasses sous les platanes accueillent des randonneurs bien reconnaissables avec leurs chaussures montantes et leurs gros sacs à dos. Je sympathise rapidement avec un jeune couple d’une vingtaine d’années tandis qu’un large groupe de trentenaires arrose déjà le départ et que 2 hommes n’attendent pas le lendemain pour partir à la fraîche : ils portent leur tente.

Etape 1 : Ortu di u Piobbu – Bienvenue en Corse

Le parfum du thym, les ravissantes héllébores, digitales, cyclamens et les immenses pins qui collectionnent les années s’imposent dans le paysage sec et rocheux tandis que le chemin s’élève assez rapidement. 1360 mètres de dénivelés positifs d’entrée de jeu : de quoi s’échauffer sans trainer ! On rencontre très vite des passages où il faut laisser les bâtons pour s’assurer avec les mains, voire même pour attraper une chaine et monter en rappel. La barre rocheuse entre Bocca à u Saltu et Bocca à u Bazzichellu est délicate à franchir : on est tout de suite dans le bain … 

Sur cette partie je sympathise avec Camille et Vincent, un jeune coupe de gendarmes qui se montre très attentionné. Tandis qu’un randonneur chute sur une racine et se cogne le nez, on croise un groupe en sens inverse qui termine le GR, radieux mais fatigués : l’un d’eux a une vilaine blessure à la cuisse après avoir descendu un névé sur les fesses en short ! Ils n’ont pas l’air frais comme nous mais se montrent très encourageants.

A l’arrivée au refuge, les tentes sont déjà montées : je n’ai plus qu’à choisir la mienne, plutôt à l’abris des arbres car on nous annonce de l’orage. Le refuge a brûlé : un problème électrique qui ressemble à un acte volontaire quand le Parc Régional Corse a repris les refuges à son compte. On le comprend à demi-mots. Du coup, la restauration se fait dans des installations provisoires.

Je suis soulagée de voir qu’à toute heure, une assiette de charcuterie et de fromages corses attend le randonneur et que le dîner est bon, copieux voire gourmand. Partout une petite épicerie permet également de refaire le plein de compotes et barres de céréales.

Les gardiens sont des personnages : les entendre parler avec leur belle assurance et leur accent chantant nous fait sourire … Bienvenue en Corse ! Il ne nous viendrait pas à l’idée de les contredire.

Etape 2 : Carrozzu – Les choses sérieuses commencent

La météo est belle : en prenant de l’altitude on aperçoit la côte et la mer méditerranée du côté de Calvi. Le relief est escarpé : on arrive en terrain montagneux. Les pics rougeoient. Le chemin est escarpé. La pierre est abrasive.

En me remettant en marche après un arrêt à Bocca di Pisciaghja à 1940 mètres, je me déséquilibre par inattention un très court instant en remettant mon sac à dos tandis que j’enclenche ma montre et c’est la chute, sur place, emportée stupidement par le poids du sac à dos. Je tombe par devant, me cognant le genou droit et m’éraflant l’arrière de la jambe gauche. Le sang perle très vite et coule de partout : c’est plus impressionnant que sérieux. Il ne s’agit que d’éraflures. Je désinfecte et repars.

Cette étape est franchement difficile : 7 heures de marche avec peut-être une heure de pause pour seulement 5.5 km et 1270 mètres de dénivelés cumulés … des montées et des descentes incessantes entre pierrier, éboulis, collets jusqu’à Bocca d’Avartoli. J’atteins alors l’immense cirque de Ladrauncellu, longeant le versant nord-ouest de la Punta Ghjalla pour rejoindre la Bocca di l’Innominata à 1912 mètres.

Le sentier fait le tour du cirque, se faufilant sur la courbe de niveau dans la barre rocheuse. Il descend ensuite en pente raide en direction du vallon de Carrozzu. Une attention de tous les instants est nécessaire : les bâtons m’encombrent souvent plus qu’ils ne m’aident : j’ai besoin de trouver des prises avec les mains aussi bien pour monter que pour descendre. Je n’hésite pas à glisser sur les fesses sur certains passages, comme si c’était un toboggan. Mon attention est permanente. La météo est belle et je réalise que je m’amuse vraiment sur ce terrain !!

Au refuge de Carrozzu je choisis une tente au bord de la rivière et soigne mes blessures après une bonne douche chaude et tombe bien vite dans un petit sommeil réparateur : je me sens extraordinairement bien et libre. Je retrouve Camille et Vincent et sympathise au dîner avec Soraya et Stéphane, un couple de mon âge de la région parisienne. Soraya est une coureuse, une marathonienne ; Stéphane lui joue au golfe : ils n’ont jamais randonné et viennent juste d’acheter tente et crampons pour le GR.

Etape 3 : Ascu Stagnu – Premiers névés

La matinée commence par la traversée d’un torrent au-dessus de la passerelle suspendue de Spasimata à 1220 mètres. Nous remontons ensuite en surplomb le ruisseau en marchant sur de grandes dalles rocheuses de couleur rose-rouge à plus de 30° de pente : des chaines sont parfois placées là pour nous aider. Les décrochages de plaques sont également les bienvenus pour y poser un pied plus assuré. Fort heureusement il ne pleut pas, sinon ce serait très glissant.

Le sentier s’élève dans une combe glaciaire peuplée d’aulnes odorants jusqu’à atteindre le lac de la Muvrella à 1860 mètres, sous le soleil matinal. De là nous pouvons visualiser le col à passer et surtout le premier névé à remonter. Une équipe de guides du refuge nous dépasse : ils sont en reconnaissance. Ils nous recommandent vivement de mettre les crampons. La pente est en effet bien raide : les crampons nous permettent d’avancer sans glisser.

Le contournement de la crête après le col qui suit le passage du col Bocca di a Muvrella est délicat : on a envie de se plaquer tout contre la falaise. Décidément, ce n’est pas de tout repos ! Nous rejoignons la grande arrête de partage des eaux au col Bocca di Stagnu (2010 mètres). La vue est splendide sur le Monte Cinto : on devine les traces dans la neige de notre prochaine étape, tout là-bas au loin.

La descente vers le refuge d’Ascu est longue et magnifique tant on serpente entre les blocs de rochers et les pins pour finir en pleine forêt de vieux pins laricio. Endémique de l’île, ce pin se reconnaît à son tronc de couleur argentée relativement lisse, ses aiguilles et ses cônes de petite taille, et enfin les branches sommitales qui constituent une sorte de table. Ils vivent plusieurs siècles. Ils dégagent une puissance et une sérénité incroyables : la pinède est délicieusement parfumée. Je décide de flâner et de savourer cet environnement.

Cette étape m’a paru grandiose et moins technique que la précédente : 7 heures de vues à couper le souffle et quelques nouveaux challenges. J’ai longuement cheminé avec Camille et Vincent. Le refuge est situé dans la station de ski du Haut-Asco : on retrouve la civilisation après 3 jours sans électricité ni réseau. J’en profite pour recharger les batteries, donner des nouvelles et faire une première lessive. Depuis le premier jour, on nous annonce des orages et fort heureusement, nous y échappons. Je profite de la proximité de la rivière pour y tremper pieds et genou endolori : une séance de cryothérapie naturelle suivie d’une bonne douche chaude, ça c’est du luxe !

Etape 4 : Tighjettu – Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt

Je pars à 5h à la frontale avec Camille et Clément : l’étape est longue avec plus de 1200 mètres de montée et 1000 mètres de descente. Le risque d’orage est important : le gardien du refuge nous recommande de ne pas être au col après 15h. Le chemin traverse une forêt de pins laricio qui s’ouvre ensuite dans le cirque du Tribulacciu : on traverse le ruisseau du même nom sur une passerelle.

Le lever du soleil dans la vallée nous surprend en pleine ascension sous Bocca Borba : un rayon enflamme la forêt et les parois rocheuses autour de nous. De quoi donner de l’énergie pour la longue ascension vers la pointe des Eboulis à 2607 mètres.

Aujourd’hui je suis plus lente que mes co-équipiers : ils poursuivent sans moi mais je ne reste pas seule. Il y a toujours quelqu’un derrière moi qui me dépasse. J’ai l’impression de manquer d’énergie et je dois me restaurer régulièrement.

Si hier on s’est entrainé à mettre les crampons, aujourd’hui, on les garde aux pieds de longues heures. La montée n’est pas particulièrement raide.

Au col, un vent froid souffle et le Monte Cinto est dans les nuages : pas de regret donc de ne pas entreprendre l’ascension pour 1h30 en plus. De l’autre côté du col, le versant sud est pierreux et peu pentu. Le ciel est couvert : je ne reste pas longtemps ici, bien heureuse d’être passée avant l’orage.

Je mesure o combien je profite ici de toutes les expériences en ski de randonnée et alpinisme : nombreux sont ceux qui, mal équipés, ont été dissuadés de s’engager par le gardien du refuge. Ils ont contourné l’étape en navette. Je croise des « givrés » qui ont fait l’étape dans l’autre sens sans équipement et un monsieur plus âgé que moi qui me dépasse en disant me reconnaître … il est sur le retour, il enchaine le GR20 dans les 2 sens ! A chacun son défi …

La descente est ensuite longue entre névés et pierriers : soudain, une échappée, la vue sur le golfe de Calvi s’impose sous le soleil qui perce !

Je termine sous quelques gouttes de pluie, juste avant que l’orage éclate vraiment, bien à l’abris au refuge. Il n’est que 14h mais je suis fourbue, lessivée, affamée : je craque pour une basique boite de conserve de raviolis que je réchauffe dans la cuisine collective en attendant le dîner.

Je retrouve ici encore les tentes déjà montées Décathlon 2 secondes Black&Fresh : le terrain est tellement rocheux et escarpé autour du refuge que les gardiens les ont montées sur des palettes en bois. Heureusement que j’y dors seule car la palette est un peu trop courte.

Le couple de gardiens nous régale d’une délicieuse assiette de charcuterie et de succulentes pâtes à la pancetta et aux champignons qui font la renommée de cette étape. 2 guitares accrochées au mur trouvent des randonneurs artistes pour gratter et chanter : une très belle soirée dont on se souviendra !

Etape 5 : Castel de Vergio – Rencontre mystérieuse avec l’autochtone

La journée commence sous le soleil par une descente dans la vallée vers les bergeries d’u Vallone. Au passage d’un gué, je mouille malencontreusement le bout de ma chaussure gauche : c’est toujours un peu stressant de se retrouver en équilibre sur un rocher bien poli en appui sur les bâtons avec un sac de 12 kg tandis que le courant est fort.

L’étape qui suit est agréablement roulante en forêt mais bien vite je retrouve ces satanées dalles : il faut bien suivre le balisage qui est en général très précis, poser les pieds dans des ruptures de blocs, se hisser avec les mains … Je prends conscience d’un frottement : une ampoule est en train de se former et me fait souffrir. La chaussette humide sur un pied qui transpire, cela ne pardonne pas longtemps. Et en plus de cela me voilà devant un névé bien pentu qui n’était pas prévu. Je déballe mon sac à la recherche de mes crampons, d’une paire de chaussettes sèche et d’un compeed et poursuis ma route.

Au niveau de la Bocca di Fuciale, la fin du névé est très raide et les marches sont hautes : il y en a qui ne pensent pas aux petits gabarits ! Je ne m’arrête pas au refuge Ciottulu di i Mori : il est trop proche. Aujourd’hui je vais en partie doubler l’étape.

Le sentier suit la ligne de crête d’où je devine au loin le golfe de Porto et la réserve de la Scandola puis plonge dans la merveilleuse vallée de la Lonca en suivant le Golu.

Je lézarde un peu sur une dalle agréablement réchauffée par le soleil les pieds dans une piscine naturelle formée par le ruisseau. Les pins laricio peuplent la vallée tandis que je dépasse les bergeries de Tula à 1700 mètres puis les bergeries d’E Radule à 1370 mètres.

Mon chemin croise un cavalier d’un certain âge au teint hâlé et au port altier suivi de 3 petits chiens genre mini bulldogs hargneux. Sur son cheval, il porte 2 larges caisses en bois. Je le laisse passer et lui demande : « Vous portez quoi dans vos caisses ? » On n’est alors pas loin du refuge Ciottulu di i Mori. « Vous êtes la DOUANE ou quoi ? » me dit-il avec son accent et sur un ton qui ne laisse pas de place à une quelconque réplique. Et moi qui m’imaginais déjà qu’il transportait des charcuteries ou fromages pour le refuge … là j’ai comme un doute ! Derrière moi, Stéphane sort son appareil photo et s’entend alors dire : « Je veux être ANONYME MOI Monsieur !! ». Je souris : voilà une rencontre avec l’autochtone que je n’oublierai pas de sitôt …

La suite du chemin se parcourt dans la forêt de hêtres de Valdu Niellu jusqu’à la station de Castel de Vergio. J’ai tellement profité de l’étape que j’ai explosé le compteur avec 9 heures pour 12 km et 1060 mètres de dénivelés positifs, 710 mètres de négatifs : j’arrive bien après tout le monde.

Je retrouve des têtes familières. Je saute sur l’occasion pour prendre une chambre d’hôtel et dormir dans des draps propres. J’aère, lave et sèche tout. Le genou fonctionne bien ; les éraflures sont soignées ; les courbatures s’estompent : je suis maintenant rôdée pour durer !

Etape 6 : Manganu – Les Pozzines du Lavu di Ninu

La journée commence à 7h30 calée sur l’horaire du petit déjeuner fixée par l’hôtel, par une longue randonnée à l’ombre en forêt puis par un passage en crête duquel je vois d’où je viens : tout au loin, je reconnais le col de la pointe des Eboulis qui mène au Monte Cinto ! J’adore ces moments où je mesure la distance que je suis capable de parcourir sur mes 2 jambes. Humilité et fierté se mêlent dans ces moments savoureux.

La surprise de la journée est une immense tourbière qui entoure le lac d’altitude Lavu di Ninu : tout ici est mousse ; des ruisseaux serpentent de partout ; tels des miroirs, des trous d’eau reflètent le ciel … On est ici dans un milieu naturel fragile tel qu’on en trouve dans les zones arctiques.

Le chemin passe devant les bergeries de l’Inzecche autour desquels des chevaux et des vaches broutent paisiblement en liberté.

Ensuite ce sont les bergeries de Vaccaghja qui accueillent les randonneurs : le ciel s’obscurcit et le tonnerre gronde au loin. Aussi je décide de ne pas m’arrêter et de poursuivre ma route jusqu’au refuge de Manganu en traversant la large vallée Pianu di Camputile jusqu’à atteindre la ligne de partage des eaux à Bocca d’Acqua Ciarnente.

J’arrive au refuge juste avant la pluie. Pendant 2 bonnes heures de pluie, les randonneurs s’entassent à l’abris dans le petit réfectoire ou dans leurs tentes. Tandis que Camille et Vincent ont pris de l’avance en doublant une étape, je retrouve ici Soraya et Stéphane et un trio de copines de fac de pharma de la région parisienne, Aurélie, Florine et Marie.

Etape 7 : Petra Piana – Grandiose et technique

Je pars à 5 heures du matin avec les filles : nous savons que des névés nous attendent tout au long de l’étape. L’ascension est plutôt facile jusqu’à la dernière montée bien raide dans la neige pour arriver à la Bocca alle Porte à 2225 mètres.

La brèche offre une vue extraordinaire sur les lacs de Melu et Capitellu. Le chemin devient alors escarpé le long de la ligne de crête, quasi aérien. La zone est particulièrement rocheuse jusqu’à la brèche de Capitellu. Nous sommes sur une arrête et poursuivons sur la ligne de niveau. La vue est à couper le souffle.

Un passage un peu technique est aménagé avec une chaine : il n’est franchement pas évident à passer … Tout le monde s’aide.

Je ne compte pas le nombre de névés passés crampons aux pieds, entrecoupés de blocs de granit sur lesquels on les enlève pour rester stables. Un vrai défilé nécessitant une attention de tous les instants jusqu’à la Bocca Muzzella.

Pour descendre au refuge, il nous faut traverser de nombreux cours d’eau qui dévalent de rochers en rochers. Cette étape est très fatigante tellement elle demande d’attention. Le plus ancien refuge du GR a les pieds dans l’eau mais profite d’une position dominante au-dessus de la vallée : au loin on aperçoit la plaine qui borde la côte Est de la Corse. Des chants corses remplissent l’atmosphère : un moment plein d’émotions où la satisfaction se mêle à l’accomplissement après l’effort tant physique que mental. La tension baisse peu à peu.

On avait initialement prévu de poursuivre jusqu’au refuge de Onda soit 5 heures de plus mais les nuages sont en train de monter et le risque d’orage de l’après-midi est trop prégnant. Je suis les recommandations d’un guide et décide de m’arrêter là. Des trailers arrivent avec leur micro sacs à dos et repartent aussitôt : ils volent littéralement triplant les étapes !

Nous sommes une trentaine de randonneurs à nous suivre et à nous retrouver régulièrement. Une Pietra et une belle assiette de charcuteries et de fromages corses s’imposent en attendant le dîner. Que de têtes fatiguées mais heureuses !

Etape 8 : Vizzavona – Une étape double pour boucler le GR20 Nord

Tandis que le soleil se lève doucement illuminant les reliefs face à nous, nous prenons un petit déjeuner mémorable …

Je teste mes limites sur cette étape que je dois doubler (étapes 8 et 9 du topoguide sur 16) pour compenser l’étape que j’ai réduit hier : 12 heures – 1840 m D+ – 2540 m D- …. Si si c’est possible ! Je n’emprunte pas la variante par les crêtes et reste sur l’itinéraire classique.

Je rencontre de très beaux et longs passages en forêt d’aulnes jusqu’aux bergeries de Ghjalgu puis de Tolla puis en forêt de hêtres jusqu’au refuge de l’Onda. Un passage de gué me donne du fil à retordre : le torrent est très puissant et les blocs rocheux sont trop éloignés les uns des autres. Je m’en sors en attrapant un morceau de tronc d’arbre que je place entre 2 rochers puis le déplace à nouveau. Je suis bien heureuse de n’avoir ni glissé ni mouillé mes chaussures.

Du refuge de l’Onda, le sentier monte en pente raide jusqu’au sommet de la Punta Muratellu à 2141 mètres. Je ne traine pas en chemin : le ciel me fait craindre un orage. A partir de la crête, le GR poursuit avec de larges lacets à travers la barre rocheuse dans la haute vallée de l’Agnone.

Je traverse les bergeries en ruine de Puzzatelli et poursuit en forêt. Une ribambelle de gués à passer et de piscines naturelles et cascades nous invitent au farniente sur cette portion. La descente me parait interminable.

Me voilà arrivée à Vizzavona bien tardivement à 19h30 après être partie à 6h30. Je retrouve Aurélie qui me fait signe de les rejoindre bien vite au restaurant : elles me gardent une place. Se retrouver à l’arrivée de l’étape est à chaque fois un moment émouvant : la satisfaction personnelle d’être arrivée se mêle en même temps au réconfort de voir que nous sommes tous sains et saufs malgré les difficultés du chemin. Nous n’en revenons pas d’avoir réussi la partie la plus engagée du GR. Qui l’aurai dit ? On ne sait jamais si on réussira mais si on ne tente pas, on ne risque pas de réussir et on ne saura jamais. Alors pourquoi ne pas oser ? A l’opposé, il y a ceux qui s’engagent sans expérience de la randonnée itinérante.

Le GR Sud, plus sec et plus chaud

Etape 9 : Bocca di verde – L’étape roulante

Regroupant l’étape 10 et une partie de l’étape 11 du topoguide, je parcours 28 km en 12 heures pauses comprises avec 1210 mètres de D+ et 850 m de D-.

Quelques montées mémorables en pleine chaleur comme celle menant au refuge d’E Capanelle mais aussi de très longues parties en forêt entre pins maritimes et hêtres, à suivre la courbe de niveau, de nombreux gués à franchir et certains devant lesquels je préfère ranger mon appareil photo au fond du sac. C’est un tout autre effort que les jours précédents. Ici il n’y a plus de pics enneigés, plus de névés, plus de torrents : le relief est moins acéré, l’altitude plus basse, les sources rares. Les senteurs du maquis se font plus présentes. On peut voir au loin la plaine de la côte Est.

Etape 10 : Usciolu – Une très longue arrête faîtière

Cette journée regroupe la fin de l’étape 11 et l’étape 12 du topoguide. C’est la première étape un peu technique du GR 20 Sud. Je vais y passer beaucoup plus de temps que prévu : la chaleur en milieu de journée a plombé l’ascension vers Bocca di a Furmucila et l’absence d’eau en route a sérieusement inquiété certains.

Je retrouve de façon inespérée Camille et Vincent : cela fait 5 jours qu’ils sont devant moi. Soraya et Stéphane également n’ont pas fait les mêmes étapes que moi sur les 2 dernières journées. On n’a pas mis les bouchées doubles en même temps. Le GR Sud est plus souple à organiser : les solutions d’hébergements sont plus nombreuses ce qui permet à chacun de prévoir ses étapes à la carte.

Les tentes du refuge sont installées dans de tout petits trous de rocher en balcon, dominant la vallée : le panorama est grandiose au coucher et au lever du soleil. Mes arrivées un peu tardives ne m’aident pas à vraiment récupérer : j’ai à peine le temps de choisir une tente et d’y poser mes affaires, de prendre une douche et de dîner. Il me reste 3 étapes …

Etape 11 : Asinau – Waoo je double l’étape

Aujourd’hui, je regroupe les étapes 13 et 14. Aussi je me lève tôt pour partir à 6h et quelle récompense ! La lumière du soleil matinal enflamme les montagnes face à ma tente, me donnant toutes les raisons de réjouir de ma décision.

En chemin je profite d’une belle piscine naturelle et d’étapes gourmandes dans des bergeries. Je n’avais pas initialement prévu une étape aussi longue mais je rallonge pour retrouver mes collègues et profiter de la belle étape prévue le lendemain.

Autant la montée au col est régulière autant la descente vers le refuge est longue et vraiment usante. J’arrive à 17h30 (1030 m D+ et 1185 D-). Mon arrivée inattendue crée la surprise : mes collègues sont heureux et rassurés de me voir. Le gardien accepte facilement de changer ma réservation. Ce soir ce sera Pietra, charcuterie, lentilles aux figatelis et compote de pommes. A ma gauche, un jeune couple est ici pour tester sa tente avant de partir en tour du monde en stop.

Etape 12 : Bavella – L’étape sublime du Sud

Mes collègues ont décidé de doubler les 2 prochaines étapes. Au contraire, je compte en profiter. Je pars avec Claude et Christophe, un couple normand de la cinquantaine qui parcourent le GR avec un autre couple d’amis moins à l’aise. Nous choisissons de passer par la variante alpine qui monte aux pieds des aiguilles de Bavella. C’est pour être fraîche pour cette étape que j’ai préféré avancer hier.

Après une montée progressive puis de plus en plus raide, à l’ombre dans la forêt de pins, nous arrivons sur la crête de partage des eaux, Bocca di u Pargulu, au pied de la Punta du même nom. Nous jouons à cache-cache avec quelques nuages de brume qui enveloppent les aiguilles comme des linceuls : le site paraît mystique. Des tours de granit, Punta di a Vacca puis Punta di l’Arghjettu, nous dominent telles des sentinelles géantes. Nous serpentons entre elles en nous sentant minuscules sur notre petit sentier, les yeux écarquillés.

La descente est bien raide : bientôt nous rangeons nos bâtons et nous nous assurons avec les mains. Plus loin une grande dalle lisse de 10 mètres pentue à 45° ne peut être franchie qu’au moyen d’une chaine. Je mesure à quel point j’ai de la chance de n’avoir ni peur ni le vertige dans ces situations. Au contraire, je m’amuse vraiment.

ll faut ensuite franchir une brèche entre deux parois appelée Bocca di u Truvonu près de la Punta di l’Acceddu. La descente dans les éboulis est ensuite raide jusqu’à Foce di Bavedda à 1218 mètres.

A l’arrivée de l’étape, au col de Bavella, je retrouve des voitures et motos : que de bruits ! Le site est touristique et accessible par la route. Après 12 jours en plein maquis, ce bref retour à la civilisation n’est pas le meilleur moment. Nous partageons notre déjeuner et tandis que tous poursuivent jusqu’au refuge d’I Paliri, je reste me reposer au gîte auberge du col de Bavella. L’après-midi est pluvieux : quand un groupe de trailers envahit mon dortoir, je sors rejoindre le col où il y a du réseau pour envoyer des nouvelles.

La brume se dissipe lentement : les silhouettes des pins et des aiguilles se dessinent en ombres chinoises. Ambiance délicieusement mystique !

Etape 13 : Conca – Une longue étape avec sa piscine

Dernière journée avec une étape double, équivalent à la 15 et 16. Je démarre par une remarquable forêt de résineux. A Foce Finosa le point de vue sur les aiguilles de Bavella, le golfe de Porto Vecchio, la Sardaigne est remarquable. Le refuge d’I Paliri est installé sur un site naturel magnifique entouré de pins et d’aiguilles rougeoyantes : j’en viens à regretter de ne pas avoir choisi cette étape.

Je profite de 2 heures de farniente dans les vasques naturelles du ruisseau de Punta Pinzuta : l’eau est claire et fraiche à souhait. Les pieds bien rafraîchis, ont dégonflé et je repars d’autant mieux. En effet, la plante des pieds s’échauffe et les pieds sont douloureux. Sur le GR20 Sud je change de chaussettes deux fois par jour et à chaque fois j’applique la crème Nok.

Après le passage de Bocca d’Usciolu, le sentier descend jusqu’au village de Conca où une buvette accueille les randonneurs, tout près de la fameuse plaque qui marque la fin de la traversée de la Corse.

Après une nuit sur place au gîte où je croise des randonneurs qui s’apprêtent à partir de là, je prends une navette pour Porto Vecchio pour 2 jours de farniente les pieds dans le sable à Palombaggia.

Un festival de surprises et un formidable terrain de jeu

Que de forêts de pins immensément hauts, que de pierres sous toutes ses formes, celles qui roulent sous les pieds et que je cherche à éviter, celles en dalles lisses qui font marcher en crabe, celles qu’il faut grimper à la force des bras … Que de parfums, du pin, du thym, du maquis, de l’aulne, que d’orchidées sauvages …

J’aurai entendu le mouflon à plusieurs reprises mais je n’ai jamais eu la chance de le voir. J’ai croisé bien des lézards verts furtifs, des vaches et des cochons noirs, vu des rapaces en plein vols planant …

J’ai eu les larmes aux yeux en arrivant à certaines étapes en entendant les chants corses …

J’ai réalisé que j’étais bien plus expérimentée en randonnées itinérantes que la très grande majorité des personnes que j’ai rencontrées. J’y suis allée pas à pas depuis 4 ans, en sortant peu à peu de ma zone de confort, en osant et en apprenant à chaque fois un peu plus, en gagnant de l’autonomie et de l’expérience.

Le GR20 est assurément un itinéraire très engagé : un formidable terrain de jeu pour qui n’a pas le vertige, pour qui aime les sensations fortes. Le parcours réserve bien des surprises toutes très naturelles. De quoi s’amuser vraiment !