3000 km pour traverser la France

13 juin 2022, 8h : je suis avec mon sac à dos et 3 autres hexatrekeurs sur la plage d’Hendaye.

27 octobre 2022, 15h : je suis à Wissembourg, seule, devant la boîte aux lettres de l’Hexatrek.

4,5 mois sont passés pendant lesquels j’ai traversé la France par les montagnes, 136 jours d’itinérance, une aventure personnelle et collective, une épreuve physique et mentale qui transforme, qui libère, 136 jours d’émerveillement !

Hexatrek, la Grande Traversée de France, 3000 km, 136000 m de dénivelé

Quand en septembre 2021, Facebook m’envoie un post sur le lancement de la campagne de financement participatif de l’Hexatrek, la Grande Traversée de France, 3000 km, 136000 m de dénivelé, sans plus réfléchir, je clique sur “Contribuer”. Dans la semaine qui suit, Kévin, le fondateur, m’appelle et prend à cœur de m’expliquer son projet après 2 ans d’itinérance de la Patagonie au Nord des Etats-Unis. Il s’agit de lever des fonds pour créer l’application qui servira à se diriger : elle propose un système de cartographie hors-ligne qui identifie le tracé et les points d’intérêt tels que les zones où le bivouac est autorisé, les refuges et cabanes, les points d’eau et de ravitaillement, les lieux immanquables. Nul besoin de topoguide ou de carte mais juste d’un peu de batterie : du jamais vu en France !

À la mi-temps de ma vie, mes enfants devenus adultes, je me suis mise à randonner, en sortant à chaque fois un peu plus de ma zone de confort. J’ai peu à peu renoncé aux assistances, au confort des hébergements, aux réservations à l’avance … Quelle libération ! Je commençais à envisager une longue itinérance en lisant des récits de “thru-hikers” ayant parcourus le Pacific Crest Trail qui traverse l’Ouest américain du Mexique au Canada sur 4000 km. Aussi, quand Kévin a lancé l’Hexatrek, j’ai sauté sur l’occasion, sans plus y réfléchir : synchronicité !

L’école du lâcher-prise

Ce n’est qu’en préparant mon sac à dos que j’ai commencé à réaliser l’enjeu : 3000 km et 136000 m de dénivelé en 4 mois annoncés, cela fait 25 km et 1133 mètres à monter et descendre, chaque jour, impossible pour moi ! Je n’envisage pas cette itinérance comme une course contre la montre, comme un défi sportif à comparer aux autres : bien au contraire, mon projet est de lâcher prise, de vivre pleinement cette parenthèse dans ma vie, de m’offrir une immersion en pleine nature, une longue méditation. Je savais que je serais majoritairement seule et cela ne m’effrayait absolument pas. C’était comme une évidence. Aussi je me suis donnée 5 mois en me disant que je ferai ce que je peux, sans pression. Je suis persuadée que cet état d’esprit m’a permis d’aller jusqu’au bout sans me blesser, sans douter et en toute sérénité.

J’ai pris chaque journée comme un cadeau de la vie et la magie a opéré : mais que la France est belle ! Chaque jour me réservait une surprise ; chaque jour je pouvais me dire “waouh” en haut d’un col et au bivouac ; j’ai vu des ciels enflammés de toute beauté par les levers et couchers du soleil ; j’ai rencontré toute la faune sauvage sur les crêtes, des rapaces, des isards, des bouquetins, des chamois ; j’ai entendu le loup hurler, les cerfs bramer, les sangliers grommeler. J’ai eu le bonheur de partager de chaleureux moments de convivialité avec d’autres randonneurs au long cours.

La troisième décision importante a été de partir du Sud et d’aller vers le Nord : je préférais commencer par des étapes sportives et finir par un dénivelé plus doux, profiter des couleurs d’automne dans les forêts des Vosges. Il était recommandé de partir plutôt mi-juin d’Hendaye pour éviter les névés tardifs dans les Pyrénées. Ceux qui sont partis du Nord ont pu partir un mois plus tôt.

La traversée des Pyrénées m’a paru interminable

1.5 mois pour aller d’Hendaye au Canigou et toujours pas au Nord ! Je crois que rares étaient mes followers qui pensaient alors que j’irais jusqu’au bout. Je célèbre les 1000 premiers kilomètres : mes muscles ont fini par accepter les efforts que je leur demande de renouveler ; j’ai allégé mon sac du superflu ; je connais mieux mes capacités. La vraie difficulté de cette étape réside dans le dénivelé : 55000 mètres c’est déjà 40% de l’Hexatrek. On a souvent un mur devant soi chaque jour. Combien de fois me suis-je dit  “mais ils n’ont pas inventé les lacets ici !”. Plaisir et récompenses sont là chaque jour : plus on s’éloigne de l’océan, plus on s’élève, Pic du Midi d’Ossau, Vignemale, cirque de Gavarnie … Puis viennent les Pyrénées ariégeoises et catalanes : le paysage change progressivement, de col en col, imperceptiblement. Les lacs et cascades sont nombreux et les bivouacs enchanteurs ne manquent pas : réserve de Néouvielle, lacs d’Oô et d’Espingo, étangs de Guzet, lac des Bouillouses …

Quand la canicule s’impose très vite

Les épisodes de canicule nous ont accablés dès le Pays Basque : 42°C annoncés lors de mon passage à Saint-Jean-Pied-de-Port. J’ai fui la ville dès 4 heures du matin pour rejoindre la fraîcheur relative de la campagne. Je ne compte pas le nombre de siestes faites à l’ombre d’un arbre tout petit soit-il. De l’eau, j’en prenais partout : source, fontaine, ruisseau, torrent, lac … potable ou non, j’avais une gourde filtrante par sécurité. Il fallait se rafraîchir à tout prix : tête, nuque, pieds, bras … tout y passait à la moindre occasion. J’ai joui sans compter de la fraîcheur des forêts de l’Ariège et remercié tous ceux qui ont su les préserver : je me sentais à l’abri, protégée par les arbres.

Si les Pyrénées sont bien pourvues en eau, ce n’est pas le cas partout ailleurs. Mon plus désagréable moment a été la traversée des Corbières pour rejoindre Carcassonne : une pierre blanche éblouissante, une végétation basse et sèche, de très rares ruisseaux à sec, peu de fontaines publiques, un risque d’incendie maximal en cette fin juillet, aucune envie de bivouaquer en pleine garrigue dans ces conditions, pas de refuges ni gîtes d’étape, aucun randonneur. L’anxiété me gagnait. 

Le Massif Central, de surprises en surprises

J’appréhendais la traversée de la partie sud du Massif Central en août. Je craignais d’avoir très chaud et d’être moins émerveillée. En réalité, ce fût une succession ininterrompue de points d’intérêts différents, entretenant ainsi le plaisir d’explorer notre beau pays : la Montagne Noire et ses forêts d’épicéas qui cohabitent avec des éoliennes, les austères causses du Larzac, les gorges du Tarn propices à des bivouacs au bord de l’eau, des petits villages de charme, les Cévennes et le mont Lozère, les gorges de l’Ardèche descendues à la force des bras. J’ai l’impression d’être devenue une machine à marcher : les étapes se rapprochent des 30 km par jour avec une pointe à 35 ! C’est le moment où on croise les hexatrekeurs partis du Nord : il y a si peu de randonneurs par ici, qu’il nous est très facile de nous reconnaître.

Entendre le loup hurler sur les hauts plateaux du Vercors

Une grande enjambée au-dessus du Rhône au Sud de Montélimar me propulse dans la Drôme. Et voilà le Vercors que j’attendais avec impatience : je m’extasie littéralement ! La montée depuis Châtillon en Diois par les falaises du Cirque d’Archiane et l’arrivée sur les Hauts Plateaux me donnent le sentiment d’être téléportée dans un autre monde : je slalome entre les sapins vers l’horizon. Vu l’état des prairies, les brebis ne sont pas loin et je crains toujours le face à face avec les patous. Ce sont les bouquetins qui finalement m’accueillent avec curiosité et bienveillance lors de la montée vers le sommet du Grand Veymont : un moment magique, les yeux dans les yeux, qui dure autant que je le souhaite d’autant qu’à cet endroit, la vue sur le Mont Aiguille est grandiose !

J’ai parcouru plus de la moitié de l’Hexatrek : je me sens super bien et j’ai hâte de retrouver l’univers grandiose des montagnes. L’Hexatrek est un parcours challengeant, une trace qui va chercher ce qu’il y a de plus beau et parfois d’engagé, quitte à flirter avec la frontière espagnole ou suisse. 

La traversée des Alpes de Belledonne au Lac Léman, un festival de massifs

La traversée des Alpes vers le Nord démarre par le massif de Belledonne jusqu’aux 7 laux puis descend vers le glacier de la Meije via le glacier de Saint Sorlin pour faire le tour des Ecrins avant de rejoindre le Massif des Cerces puis la Vanoise. Nous voilà à jouer les équilibristes dans les pierriers et à frôler les glaciers. J’aime me sentir aussi petite qu’une fourmi devant ces monstres minéraux, humilité et force s’entremêlent. Les Alpes sont incroyables de diversité : tous les 3 jours j’ai l’impression de changer de cadre naturel.

Les cols de la Vanoise sont plutôt doux à passer et rassurants : on se dirige enfin vers le Nord. Mi-septembre la première poudre blanche s’invite déjà ; les refuges ferment peu à peu : il est temps de sortir des Alpes du Nord. Alors que la rase végétation des pentes de la Vanoise, brûlée par la sécheresse, s’est parée de ses couleurs d’automne, la Haute Savoie est verdoyante. Quand on passe aux pieds du glacier de Bionnassay et qu’on parcourt le balcon Sud de la vallée de Chamonix, face aux glaciers qui dégueulent, on est écrasé par la puissance du Mont Blanc. Il n’est pas étonnant qu’on vienne si nombreux de l’autre bout du monde pour lui tourner autour. Sous le col du Brévent, au-dessus de la vallée de Servoz, alors que je suis seule au bivouac, j’entends le brame des cerfs en rut : leur rugissement caverneux me paraît inquiétant au point où je me sens comme transposée soudain à une toute autre époque. 

Esquiver la pluie dans le Jura et jouir de l’été indien dans les Vosges

La météo est devenue variable et s’est dégradée en cette fin septembre. La traversée du Jura par les crêtes se transforme en une véritable partie de cache-cache avec la pluie. Ce petit jeu m’offre des randonnées sous le brouillard concentrée sur le balisage, des matins givrés où les arbres paraissent momifiés, des rencontres soudaines avec les chamois et des cueillettes photographiques de champignons. Le Doubs a retrouvé sa fougue et la descente des gorges dans la forêt humide me réserve une expérience inattendue.

Je rêvais d’un été indien dans les Vosges et je suis comblée. Tandis que les chênes rouge s’enflamment, les feuilles de hêtre bruissent sous mes pas : je prends plaisir à fouler ces épais tapis, faisant voler les feuilles comme de la neige fraîche. Bivouaquer dans les ruines des châteaux est un luxe auquel je n’ai pas résisté.

Quand le bout du chemin approche

La fin approche : tous les hexatrekeurs arrivent peu à peu après 4 à 5 mois de marche. Ai-je vraiment envie d’arriver ?

Je n’arrive pas à réaliser si ce n’est en regardant ma trace GPS, que j’ai traversé la France et parcouru près de 3000 km ! J’ai douté bien des fois au cours de la première semaine puis plus du tout. J’ai à la fois l’impression que je pourrais continuer ainsi, physiquement et mentalement, et en même temps, j’ai envie d’achever cette traversée et je rêve déjà d’autres itinérances.

22 kilomètres et 1000 mètres à monter et à descendre chaque jour avec un sac de 15 kg pour être autonome, 6 kg en moins et un nombre incroyable d’heures d’émerveillement, de silence, de solitude et en fait de liberté. N’est-ce pas un beau cadeau à se faire dans la vie ?